Aller au contenu

DALO/ Condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de L'Homme pour non relogement

Par décision du 9 avril 2015, qui ne deviendra définitive qu’au 9 juillet 2015 en l’absence de renvoi devant la Grande chambre, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) saisie pour la première fois dans le cadre du droit au logement opposable, a condamné à l’unanimité la France pour violation de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) du fait de l’inexécution d’un jugement du tribunal administratif de Paris ordonnant le relogement d’un demandeur reconnu prioritaire par la commission de médiation Dalo (cf CEDH, 09/04/2015, aff. 65829/12, Tchokontio Happi c/ France).


Rappelons que la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 reconnaît le droit à un logement décent et indépendant à toute personne résidant régulièrement sur le territoire français qui n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir. Pour faire valoir ce droit,  la loi créé deux recours :

  • Un recours amiable qui permet aux personnes se trouvant dans des situations limitativement énumérées par la loi (par exemple, personnes dépourvues de logement, menacées d’expulsion, occupant un logement insalubre, etc) de saisir une commission départementale de médiation en vue de faire valoir leur droit à un logement opposable,
  • Un recours contentieux spécifique qui permet aux bénéficiaires d’une décision favorable non suivie de l’attribution d’un logement de saisir le tribunal administratif pour obtenir la condamnation de l’Etat à assurer leur logement ou leur relogement, éventuellement sous astreinte.

Les faits de l’espèce sont caractéristiques de la difficulté à rendre effectif dans certains territoires où la demande de logement connaît une forte pression, le droit au logement opposable.

Dans cette affaire, la requérante avait été reconnue prioritaire en février 2010 par la commission de médiation de Paris pour l’attribution d’un logement au motif qu’elle occupait avec sa fille et son frère un logement indécent et insalubre.

En l’absence de relogement dans le délai imparti, elle saisit le tribunal administratif de Paris qui, par décision du 28 décembre 2010, ordonne au préfet de la région d’Ile-de-France d’assurer son relogement et ce sous astreinte de 700 euros par mois de retard. Ce jugement n’ayant pas été exécuté, le juge administratif a procédé en 2012 à la liquidation provisoire de l’astreinte et condamné l’Etat à verser la somme de 8.400 euros au fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France.

N’ayant toujours pas été relogée, la requérant saisit le 8 octobre 2012 la Cour européenne des droits de l’Homme pour inexécution du jugement définitif ayant ordonné son relogement, sous astreinte.

La Cour européenne des droits de l’Homme a considéré « qu’en s’abstenant, pendant plusieurs années, de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile ».


Par conséquent, pour la Cour européenne des droits de l’Homme, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention  relatif au droit à un procès équitable : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ».

Cette décision est conforme à sa jurisprudence qui considère que la notion de procès équitable s’applique également à l’exécution de la décision obtenue (cf CEDH, 19/03/1997, aff. 107/1995/613/701, Hornsby c/ Grèce).

Au cas présent, le gouvernement français, en défense, faisait valoir que l’injonction de relogement sous astreinte et la liquidation de cette astreinte étaient des mesures adéquates et suffisantes pour assurer l’exécution du jugement. Il expliquait par ailleurs que l’absence de relogement de la requérante se justifiait par la situation particulièrement délicate du logement en région parisienne.

Il soutenait ainsi que « confronté à cette situation de pénurie marquée par une disproportion manifeste entre le nombre de logements disponibles et le nombre de ménages reconnus comme prioritaires », « le prononcé puis la liquidation d’une astreinte d’un montant de 700€ mensuel versé au Fonds d’aménagement urbain répondent parfaitement à l’objectif de garantie de l’exécution de la décision juridictionnelle enjoignant au préfet le relogement de la requérante ».

Ces arguments n’ont pas convaincu la Cour européenne des droits de l’Homme qui a relevé « que d’une part, cette astreinte, qui a pour seul objet d’inciter l’Etat à exécuter l’injonction de relogement qui lui a été faite, n’a aucune fonction compensatoire et, d’autre part, qu’elle a été versée, non à la requérante, mais à un fonds d’aménagement urbain, soit à un fonds géré par les services de l’Etat ».

Il ressort clairement de cette décision que :

Le prononcé d’une astreinte, sa liquidation et son versement à un fonds public ne sont pas suffisants pour garantir l’exécution d’une décision de justice.

Afin de rendre effectif le droit au logement opposable, le législateur a créé un contentieux spécifique permettant aux demandeurs reconnus prioritaires pour l’attribution d’un logement de saisir la juridiction administrative. Dans le cadre de ce contentieux, le juge administratif peut assortir son injonction de logement ou de relogement d’une astreinte.

Il s’agit d’une astreinte spécifique versée non au requérant mais au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement depuis 2011 (auparavant, au fonds régional d’aménagement urbain), qui est exclusive de celle de droit commun prévue par les dispositions générales de l’article L 911-4 du code de justice administrative (cf CE, 10/02/2014, n°361426), laquelle est en revanche versée au requérant.

Conformément à l’article L 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation, le montant de cette astreinte est déterminé en fonction du loyer moyen du type de logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation. Par ailleurs, rien ne s’oppose à ce que le juge qui constate que l’injonction prononcée n’a pas été suivie d’effet, d’en modifier le montant en la majorant pour l’avenir (cf CE, 13/02/2015, n°370030).

En 2014, selon les chiffres communiqués par le ministère du logement et issus des statistiques du Conseil d’Etat sur les 12 derniers mois (données arrêtées au 31/12/2014), 9.865 recours spécifiques Dalo ont été déposés dont 84% ont concerné la région d’Ile de France. Sur cette même période, 10.142 jugements ont été rendus. Les juges administratifs ont rejeté 7% des recours et ont prononcé une condamnation de l’Etat dans 82% des affaires qui leur ont été soumises.

Dans l’affaire jugée par la Cour européenne des droits de l’Homme, le gouvernement faisait valoir que le législateur avait prévu pour les ménages reconnus comme prioritaires « un dispositif spécifique, devant le juge, afin de surmonter les obstacles à l’exécution des décisions de justice leur reconnaissant le droit d’être relogés et rendre ainsi effective l’exécution de ces décisions ». Il faisait ainsi état pour justifier de mesures suffisantes de :

  • la condamnation sous astreinte,
  • la liquidation de celle-ci,
  • la possibilité de prononcer une nouvelle astreinte si le requérant n’est toujours pas relogé, et du mode de calcul de l’astreinte, qui est fonction du loyer moyen du type de logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation.

Il précisait en outre que « si le jugement prévoit que l’astreinte sera versée au fonds d’aménagement urbain de la région d’Ile-de-France, cet élément n’a pas pour effet de priver la mesure prononcée de son caractère adéquat et suffisant ». Dès lors, il estimait que la liquidation de l’astreinte revenait à l’exécution du jugement.

La Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas été de cet avis. Elle a estimé que le paiement de l’astreinte n’était pas suffisant pour considérer que l’Etat avait exécuté la décision ordonnant le relogement du requérant et a affirmé que le « défaut d’exécution du jugement en question ne se fonde sur aucune justification valable ».

Elle a considéré que le droit à l’exécution d’une décision de justice est un des aspects du droit à un tribunal et qu’à ce titre, « la protection effective du justiciable implique l’obligation pour l’État ou l’un de ses organes d’exécuter le jugement ».

La Cour a donc reconnu la France coupable de violation du droit à une procédure équitable en n’ayant toujours pas exécuté, après plus de trois ans, la décision de justice ordonnant le relogement de la requérante.

On soulignera que la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme va à l’encontre de l’interprétation faite par le Conseil d’Etat dans son avis rendu le 2 juillet 2010 suite à sa saisine par le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’avis sur les modalités de fixation et de versement de l’astreinte ainsi que sur la compatibilité du dispositif avec le droit à un procès équitable et dont les éléments étaient repris en défense par le gouvernement (cf, CE, avis n°332825).

Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait estimé que le recours contentieux spécifique prévu par L 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation qui, en cas de non relogement du demandeur bénéficiant d’une décision favorable pour l’attribution d’un logement, donne au juge administratif un pouvoir d’injonction et d’astreinte « de nature à surmonter les éventuels obstacles à l’exécution de ses décisions, présente un caractère effectif, au regard des exigences découlant de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Il considérait en outre que le versement de l’astreinte à un fond public était tout à fait compatible avec le droit au procès équitable.

Dès lors, il concluait que « les dispositions en cause ouvrant aux justiciables qu’elles visent le droit d’accéder à un tribunal doté de pouvoirs effectifs, conformément aux stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’y a dès lors pas lieu de rechercher si le droit d’obtenir un logement décent et indépendant est au nombre de ceux auxquels renvoie l’article 13 de la même convention ».

La pénurie de logements ne peut justifier l’inexécution d’une décision de justice.

Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme dans sa décision et conformément à sa jurisprudence constante, une autorité de l’Etat ne peut prétexter le manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas exécuter ou faire exécuter une décision de justice.

Par conséquent, le manque de logements disponibles ne peut exonérer l’Etat de son obligation d’assurer le relogement d’un demandeur reconnu prioritaire et urgent pour l’attribution d’un logement.

A cet égard, on observera que dès les premières décisions rendues en 2009 dans le cadre du contentieux du relogement, le juge administratif avait posé le principe d’une obligation de logement ou de relogement de résultat à la charge de l’Etat sans possibilité d’exonération. Position confirmée par le Conseil d’Etat dans un arrêt de 2013 qui relève que « les dispositions de l’article L 441-2-3 du code de la construction et de l’habitation, éclairées par les travaux parlementaires qui ont précédé leur adoption, font peser sur l’Etat, désigné comme garant du droit au logement opposable, une obligation de résultat » (cf. CE, 15/02/2013, n°336006).

Dès lors, le contexte local, le fait que le préfet déclare avoir pris toutes les mesures possibles, l’absence de logements disponibles ou encore le fait que la décision d’attribution d’un logement appartienne aux commissions d’attribution de l’organisme HLM ou la simple proposition par le préfet de la candidature du demandeur reconnu prioritaire à une société HLM ne sont pas des motifs d’exonération de l’obligation qui pèse sur l’Etat. Seul un cas de force majeure ou un comportement propre au demandeur, tel que le refus non légitime à une proposition de logement, serait de nature à exonérer l’Etat totalement ou partiellement de son obligation de logement ou de relogement.

Un signal fort de la Cour européenne des droits de l’Homme en direction du gouvernement face aux ménages reconnus prioritaires au titre du DALO et non relogés mais aussi du législateur pour rendre effectif le droit au logement…

Les chiffres communiqués par le ministère du logement font état en 2014 d’une augmentation du nombre de recours déposés (Logement et Hébergement) de 6,3% pour atteindre 96.965 recours. C’est dans les départements à forte activité où sont reçus plus de 1.000 recours par an que se concentrent ces recours (86,8%). Rappelons que les départements où la demande de logement DALO est la plus forte sont les 8 départements de l’Ile-de-France qui totalisent à eux seuls 56.623 recours (58,4%), les Alpes-Maritimes, les Bouches du Rhône, la Haute Garonne, la Haute Savoie, la Gironde, l’Hérault, la Loire-Atlantique, le Nord, le Rhône et le Var.

Sur la même période, les commissions de médiation ont déclaré 35.272 ménages prioritaires et urgents pour l’attribution d’un logement ou d’un hébergement (soit 34% de l’ensemble des décisions prises par les commissions de médiation). Le nombre de ménages déclarés « prioritaires et urgent » entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2014 et restant à reloger s’élève à 59.502 (37,3% des ménages déclarés prioritaires) dont 51.069 sont en attente de relogement depuis 6 mois à 7 ans. Sur ce total, 44.013 ménages résident dans la région d’Ile-de-France.

Au regard de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, dès lors que l’arrêt deviendra définitif et qu’il sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveillera l’exécution, il appartiendra en principe à l’Etat de définir les mesures d’exécution de la décision prise par la Cour européenne des droits de l’Homme tant au niveau de la situation individuelle de la requérante que sur un plan général afin de prévenir les violations similaires à celles constatées par la Cour. Reste à voir dans quel délai…

En l’état de la situation actuelle
, on observera que le recours spécifique DALO tel qu’imaginé par le législateur, outre qu’il n’est pas conforme à l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, offre moins de garantie que le recours ordinaire d’astreinte de l’article L 911-4 du code de justice administrative, puisqu’il est jugé en urgence, sans intervention du rapporteur public et peut déboucher sur une astreinte prononcée à l’encontre de l’Etat et versée à un fonds public, sans que le demandeur ne soit finalement relogé.

Aussi, face à la difficulté pour l’Etat de reloger, ce n’est qu’à travers le contentieux indemnitaire et désormais le contentieux devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour autant que le requérant formule une demande de satisfaction équitable (ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la requérante n’ayant demandé aucune indemnisation pour le préjudice subi), que le juge peut renforcer l’effectivité du DALO en imposant à l’Etat d’indemniser le requérant et en corollaire inciter l’Etat à se mobiliser en amont pour loger les demandeurs prioritaires et urgents pour l’attribution d’un logement.

A cet égard, dès 2012 dans le cadre d’un contentieux indemnitaire au terme duquel le requérant reconnu prioritaire et non relogé malgré une injonction de relogement ordonnée par le tribunal administratif, demandait à l’Etat une réparation pécuniaire, la Cour administrative d’appel de Paris, confirmant la position des juges du fond, avait jugé qu’en ne relogeant pas une personne déclarée prioritaire dans le cadre du droit au logement opposable, l’Etat manque à la fois à une obligation de résultat et à son devoir d’exécuter la décision de justice qui le condamne à assurer le logement ou le relogement du requérant, ce qui d’ailleurs équivaut à une violation de la chose jugée.

Pour la Cour, cette double carence est constitutive de fautes de nature à engager la responsabilité de l’Etat et octroie une indemnité au requérant en réparation du préjudice subi (cf, CAA Paris, 20/09/2012, n°11PA04843, cf également CAA Paris, 30/04/2014, n°13PA02997).

Toutefois, si la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme est incontestablement un élément de plus à l’édifice jurisprudentiel du dispositif DALO et une avancée vers l’effectivité du droit au logement, ses implications pratiques sont à relativiser. En effet, il apparaît difficilement envisageable que dans chaque dossier DALO, il y ait une saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme, d’autant que ce que veulent les demandeurs prioritaires et non relogés, avant même une indemnisation, c’est obtenir un logement.

C’est d’ailleurs le constat qui peut être fait pour le contentieux indemnitaire devant le juge administratif au vu des chiffres indiqués par le ministère du logement  et issus des statistiques du Conseil d’Etat sur les 12 derniers mois (données arrêtées au 31/12/2014) : 1.103 contentieux indemnitaires déposés. Même si ce nombre est peu élevé, il est à relever néanmoins que sur cette même période, 744 jugements ont été rendus dont 10% concluent au rejet de la requête et 85% donnent satisfaction aux requérants.

Remarque : cette décision de la Cour européenne des droits de l’Homme intéressera également les demandeurs reconnus prioritaires pour l’accueil en structure d’hébergement qui bénéficient du même accès au recours contentieux spécifique.

Retour en haut de page